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Ciel miroir des cultures

1. UN SENS A TROUVER

De tout temps, les hommes ont été confrontés à la myriade d’astres scintillant la nuit. Ainsi, chaque culture a peuplé ce ciel omniprésent de ses dieux ou de ses monstres. Cherchant à rendre compte des régularités célestes et à y discerner des signes annonciateurs d’événements terrestres, elles ont tenté d’expliquer la création du monde en mettant en récit des cosmogonies. Là où nos télescopes nous donnent aujourd’hui à imaginer d’énormes bulles de gaz brûlant, les Inuits percevaient les étoiles comme des lacs brillant dans l’herbe noire et les Grecs comme des trous dans la voûte céleste par lesquels le feu sacré était visible. La voûte céleste était tantôt une cloche, une tente ou une coupole sur laquelle les milliers d’astres visibles étaient incrustés. Pour se repérer parmi ceux-ci, la plupart des peuples ont dessiné des constellations à partir d’alignements, dont les plus remarquables ont été utilisés par plusieurs civilisations.

Du nord au sud, de l’ouest à l’est, les peuples se sont raconté le ciel, chacun projetant conceptions du monde et croyances différentes. Le baudrier d’Orion, le chasseur pour les Occidentaux, est un escalier de glace pour monter au ciel pour les Inuits, et Tsann, les « Trois », l’une des 257 constellations chinoises. Retrouvée en 1907 dans une grotte à Dunhuang, en Chine, cette carte du VIIe siècle comporte 1585 étoiles. Elle aurait servi tant aux arts divinatoires qu’à guider les caravanes de la route de la Soie. La forme de notre Grande Ourse — les Sept Boeufs pour les Romains, le Putois à longue queue pour les Sioux ou les Sept Chasseurs pour les Cherokee — est présente sous des noms différents mais avec les mêmes figures dans de nombreuses cultures. Aux côtés des Pléiades et de la Voie lactée, elle est représentée sur cette carte du ciel en peau des Indiens Skidi Pawnee, qui y voyaient l’image d’une civière.

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2. UNE MOSAIQUE CULTURELLE

Notre zodiaque est né en Mésopotamie, il y a plus de 4 000 ans. Des formes aussi diverses que celle d’un scorpion, d’un couple de jumeaux, d’un épi d’orge voisinant avec un poisson-chèvre et un journalier commençaient à s’imposer pour repérer le trajet du Soleil, de la Lune et des cinq planètes errantes. Mêlant toujours personnages, animaux réels ou mythiques comme repères calendaires, les érudits et poètes hellènes, en particulier Aratos trois siècles avant notre ère, ont fixé la quasitotalité de nos constellations boréales. Durant dix siècles, conservant l’héritage de la civilisation gréco-romaine, les astronomes arabes laissèrent leur empreinte sur la voûte céleste en nommant une multitude d’étoiles. Les explorateurs des XVIe et XVIIe siècles ont peuplé le ciel austral d’animaux exotiques et d’instruments scientifiques (l’Oiseau de Paradis, le Télescope, la Dorade…). Mosaïque culturelle, la voûte céleste se pare encore de nouvelles couches d’interprétations et d’objets issus des sciences contemporaines, pulsar ou quasar, sans que le bestiaire du zodiaque en souffre.

Selon les cultures, la Voie lactée était du lait maternel renversé par Hercule ou le chemin parcouru par les âmes défuntes pour rejoindre le ciel. Aujourd’hui, elle est la preuve de la forme de notre galaxie. Datant de 1840, cette carte du ciel hindoue, intitulée « Le bijou de l’essence de toutes les sciences », rassemble diverses représentations indiennes, arabes et européennes. Six constellations du zodiaque y marquent le trajet du Soleil, de la Lune et des planètes. Le Scorpion, qui symbolise la déesse sémitique Ishara, se retrouve sur un Kudurru de 1 350 av. J.-C. Ce galet babylonien était un titre de propriété protégé par l’ornement de bas-reliefs, où figuraient les principales divinités du panthéon céleste.

 

 

3. UNE HISTOIRE DE REPRESENTATION

Le disque de Nébra, vieux de 3 600 ans, retrouvé en Allemagne, montre un ciel que parcourait le Soleil porté par un navire. Avec la recherche scientifique, notre représentation du monde s’est considérablement éloignée de la magie. En scrutant le spectacle des mouvements célestes, des générations d’astronomes ont formulé et mis en équations leurs interprétations, les emboîtant à celles de leurs prédécesseurs : des centaines de milliards d’étoiles, qui naissent et meurent dans des nébuleuses, regroupées en d’innombrables galaxies… et un Univers issu d’un big bang voici 13,8 milliards d’années. Mais ce modèle de la création du monde n’est qu’une hypothèse, construite à partir de théories rationalisant le mieux nos observations, comme cette image d’un Univers âgé alors de 380 000 ans. Les scientifiques ne peuvent que chercher à interpréter les faits et ce qui différencie leurs représentations de toute autre, c’est la possibilité de prouver qu’elles seraient fausses.

L’idée d’un chaos initial d’où surgit un monde ordonné se retrouve dans diverses cultures anciennes. Dans la cosmogonie chinoise, un oeuf donne naissance à la puissance divine P’an Kou qui, en grandissant, sépare le ciel et la terre, l’obscurité et la lumière, l’humide et le sec, le yin et le yang mélangés dans l’oeuf. À sa mort sont nés les hommes et les choses, son souffle devenant le vent, sa voix le tonnerre et ses yeux la Lune et le Soleil. Chez les Égyptiens, la naissance du monde est un miracle quotidien. La voûte céleste est représentée par la déesse Nout, dont le corps se courbe au-dessus de la Terre. Chaque soir, elle avale le Soleil pour le mettre au monde chaque matin.

 

4. UNE QUETE SANS FIN

Nos moyens d’investigation se perfectionnent sans cesse et nous permettent de peupler le ciel de nouveaux objets (naine brune, amas de galaxies ou trou noir) et de repousser les limites de l’espace « connu ». Mais notre quête ne semble pas pour autant changer de finalité. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? L’Univers a-t-il un sens ? En Occident, Aristote a imposé sa conception d’un ciel parfait et immuable centré sur la Terre immobile durant près de deux millénaires. Il a fallu attendre les premières observations réalisées par Galilée avec sa lunette, montrant les irrégularités du Soleil, de la Lune et les satellites de Jupiter pour que cette vision du monde cède aux observations. Les dieux désertent peu à peu le ciel, rendant plus vives peut-être les questions de l’origine et du sens de la vie. Notre approche est aujourd’hui plus rationnelle mais elle ne se libère pas de nos fantasmes d’immortalité.

Aujourd’hui comme hier, l’homme recherche toujours l’autre et l’ailleurs, sur la Lune ou le Soleil d’abord, puis sur Mars. Sommes-nous seuls dans l’Univers ? L’avènement de la pluralité des mondes ouvre le chemin à de nouvelles « Terra Incognita ». En 1995, la découverte de systèmes planétaires autour d’autres étoiles permet de faire subsister les fantasmes et même de les conforter. L’envoi de sondes spatiales, portant une plaque d’identification de notre espèce, notre étoile et ses planètes, à l’adresse d’hypothétiques civilisations stellaires, l’écoute systématique de l’émission de signaux à l’aide de radiotélescopes sont comme autant de bouteilles à la mer. Mais de quoi aurions-nous le plus peur : être irrémédiablement seuls ou se savoir accompagnés d’E.T. ? L’incertitude est peut-être un moindre mal.

 

5. RYTHMER LA VIE

Sans nul doute, la régularité des mouvements célestes s’est imposée à toutes les civilisations comme un témoin naturel du temps qui s’écoule. La première motivation à étudier la place du Soleil sur la voûte céleste a été de savoir repérer le retour des saisons pour les besoins des travaux agricoles, anticiper les migrations, les inondations. Le lever héliaque de Sirius, juste avant celui du Soleil, annonçait ainsi les crues du Nil, indispensables à la fertilisation des sols et donc aux récoltes à venir. Les cycles du Soleil et de la Lune ont fondé le découpage du temps, et les calendriers ont rythmé la vie. Que ces calendriers soient solaires ou lunaires, il appartenait aux prêtres, aux pontifes romains, aux astronomes d’intercaler des jours supplémentaires au découpage en années pour éviter la dérive saisonnière. Qu’il soit donné par les religieux ou imposé par les politiques, le temps a été un instrument de pouvoir, régissant périodes de travail, de prière et jours de fêtes.

Retrouvée au Mexique, la Piedra del Sol, un monolithe de 80 tonnes du XVe siècle, est une représentation du calendrier aztèque, commémorant un cycle rituel de 52 ans. Tonatiuh, dieu du Soleil en mouvement, domine le monde et le temps. Il siège au centre de ce disque figurant le temps qui s’organise selon un cycle annuel de 260 jours. Il contrôle les cataclysmes et phénomènes célestes, et sa langue pendante symbolise la soif du sang des sacrifices humains, indispensables à la bonne marche de la société. Les ensembles mégalithiques de Stonehenge et de Goseck ont été des lieux de culte dont les alignements permettaient aussi aux hommes du Néolithique de repérer les positions de la Lune et du Soleil, en particulier lors des solstices. Il est ainsi probable que ces pierres dressées entre 5000 et 3000 av. J.-C. aient été des outils calendaires rudimentaires.

 

6. CONQUERIR L'ESPACE

La cartographie terrestre est aussi née du désir des monarques de connaître la dimension ou les frontières de leur royaume. De l’Antiquité à l’époque moderne, de nombreux érudits étaient autant astronomes que géographes. Au IIe siècle avant notre ère, Ératosthène détermine une première valeur de la circonférence de la Terre à partir des hauteurs du Soleil. Claude Ptolémée, d’Alexandrie, puis Al Khwarrizmi, de Bagdad, cartographient à la fois le ciel et la Terre, respectivement au IIe et IXe siècle. Le cosmographe de la Renaissance Gerhard Kremer, dit Mercator, est resté célèbre par sa méthode de projection des cartes terrestres. De fait, la connaissance de la position précise des astres a toujours été indispensable à la géographie. Jusqu’à l’invention des satellites artificiels, elle permettait de se situer à la surface du globe. Connaître sa latitude nécessitait de déterminer la hauteur des étoiles dans le ciel et, pour la longitude, il fallait en plus disposer d’une mesure précise du temps, donnant accès au décalage horaire.

Même si la rotondité de la Terre est généralement admise depuis Pythagore et Aristote, la forme des cartes terrestres a beaucoup évolué dans notre histoire occidentale. La logique de nos planisphères actuels, avec le nord en haut, date de la Renaissance, époque où apparut le besoin de disposer d’outils de navigation dans des mers ouvertes. Ces cartes se substituèrent aux représentations moyenâgeuses, marquées par la volonté de l’Église d’imprimer une vision symbolique, s’attachant à rendre visibles des représentations bibliques, comme le paradis terrestre et les rois mages. Datant de 1474, cette carte dessinée par Paolo Toscanelli est l’une des premières cartes chrétiennes modernes à être dégagée de cette confusion entre carte, récit et mythes.

 

7. IMPOSER DES DIEUX ET DES CULTES

Impassible mais mouvant et imprévisible, évanescent mais écrasant, opaque mais brillant, le ciel n’est qu’interrogations. Dans de nombreuses cultures, il constitue donc le domaine rêvé des dieux invitant les mortels à les implorer, les craindre et les adorer. Partout dans le monde, en tout temps, ceux qui ont prétendu au pouvoir terrestre l’ont accaparé, se plaçant ainsi au-dessus du peuple, en usant de ses peurs et de ses espoirs. Qui pourrait plus mériter le pouvoir que celui qui prouverait qu’il vient du ciel, qu’il sait le décrypter ou qu’il communique avec les astres ? L’enjeu est tel qu’à défaut de dominer la cosmogonie, au moins peut-on se l’approprier comme instrument de contrôle et d’endoctrinement. Ainsi, astrologues babyloniens, prêtres égyptiens ou mayas, détenteurs de pouvoir et officiants des cultes ont imposé une lecture du ciel pour asseoir leur autorité.

La chrétienté a projeté le récit de sa genèse dans le ciel. Sur la carte de Cellarius du XVIIe siècle, Julius Schiller rebaptise les douze constellations zodiacales des noms des douze apôtres, substitue la mer Rouge au fleuve Éridan, l’arche de Noé au navire des Argonautes, le tombeau du Christ à Andromède… L’Église catholique souhaitait ainsi se réapproprier un ciel peuplé par les Grecs, mais elle n’y parviendra pas : Orion et Cassiopée, entre autres, ont conservé leur place sur la sphère céleste. Pour les Aztèques, depuis la création du monde, quatre cycles de destructions et de renaissances de l’humanité s’étaient écoulés. Le cinquième Soleil est le dernier cycle, celui de Tonatiuh, au cours duquel la Terre se mettra en mouvement et où nous périrons. Ce manuscrit aztèque assemble représentations théologiques, astronomiques et calendaires, intimement liées dans des cycles divinatoires.

 

8. SAVOIR PREDIRE POUR DOMINER

Comètes, éclipses, étoiles filantes… tous les phénomènes rares, impressionnants ou incompris ont été redoutés. Dans l’imaginaire collectif, ils annonçaient le plus souvent des événements sombres. Les éclipses, en Amérique du Sud, précédaient l’arrivée de la maladie. Dans de nombreux récits, celui qui détenait le pouvoir de les prédire imposait son autorité. Ainsi, Christophe Colomb annonça une éclipse totale de Lune le 29 février 1504, signe de la colère du dieu des chrétiens, pour terrifier les Indiens et leur imposer le ravitaillement de son équipage. Mauvais présages, les comètes étaient associées aux guerres, aux famines, aux épidémies ou à la mort du souverain. Mais alors que leur nature n’était plus magique, le passage de Halley en 1910 terrorisa nombre d’Européens, persuadés que la queue de la comète était composée d’un gaz mortel. Cette peur des feux du ciel nous habite encore, peut-être à juste titre, avec les milliers d’astres errants qui croisent la trajectoire de la Terre.

En Asie, il incombait aux astronomes impériaux de prédire l’arrivée du dragon qui dévorait le Soleil, c’est-à-dire les éclipses de Soleil (le mot éclipse se traduit par « shi », qui signifie « manger »). Pour faire réapparaître le Soleil, il fallait faire fuir le dragon en provoquant le plus de bruit possible. Les astronomes Hi et Ho, ayant abusé de boissons alcoolisées, n’auraient pas été en mesure de prévoir une éclipse. Furieux de n’avoir pu organiser la bataille contre le dragon, l’empereur les aurait fait décapiter. Aujourd’hui, les astronomes peuvent prévoir à quelques milliers de kilomètres près la trajectoire d’astéroïdes ou de comètes. Ils calculent même, les dates des passages à risque, c’est à dire proches de la Terre. Pour les plus importants du moins, car certains bolides, non détectés, pénètrent notre atmosphère sans crier gare comme ce fut le cas le 15 février 2013 au-dessus de l’Oural dans la région de Tcheliabinsk.

 

9. IMPLORER SES DIEUX ET CONJURER LA MORT

Chez certains Inuits, les étoiles sont des trous dans la voûte céleste, des passages vers le monde des morts. Les aurores boréales s’illuminent lorsque les esprits des défunts s’agitent. Les Indiens Fox voyaient dans ces phénomènes un présage de guerre, les fantômes d’ennemis morts au combat, revenant avides de vengeance. La Voie lactée est aussi parfois perçue comme un pont reliant le monde des vivants à celui des morts. Elle forme alors le chemin parcouru par l’âme des défunts pour rejoindre le ciel. Cette idée que le ciel est une transition entre la vie et la mort, habité par les dieux, est commune à de multiples cultures. La crainte causée par les manifestations célestes a incité les hommes à inventer des dieux tout puissants, exprimant leur colère et régnant sans partage sur le monde. Pour pouvoir conjurer leurs craintes, ils les ont créés à leur image et ont ressenti le besoin de nommer les astres et les phénomènes célestes ; les personnifier permet de les implorer. Le dialogue avec le ciel était ainsi rendu possible.

Statues géantes de 3 à 10 m de haut, les Moaï semblent veiller sur l’île de Pâques. Ils représentent sans doute des divinités ou d’illustres ancêtres protecteurs. Dos à la mer, certains de ces géants de pierre délimitent des Ahu, lieux sacrés, orientés en fonction des positions du Soleil lors des équinoxes ou des solstices. Ces lieux de culte, construits par chaque tribu, servaient de calendrier et de lieu d’organisation de la vie communautaire.

 

10. CONNAITRE SON AVENIR

En observant le ciel, les astronomes babyloniens ont voulu y lire des signes leur étant adressés. Ils ont rassemblé des milliers d’observations et de présages. Astrologie et astronomie n’ont pas été dissociées avant la Renaissance : chercher à décrire les figures et l’aspect des astres pouvait permettre de prédire les destins et événements de la vie terrestre. En codifiant la lecture du zodiaque, l’astrologie s’est emparée de cette recherche d’un destin. Amour, santé, argent sont incarnés par les astres, le ballet cosmique devenant le reflet des espoirs d’un avenir insaisissable. Aujourd’hui, l’astrologie ne peut plus s’intéresser à prouver l’existence d’une interaction physique entre les astres et le comportement humain. Elle vise plutôt à offrir à chacun un espace symbolique de parole, de regard sur soi-même et sur ses angoisses.

« Le Livre des propriétés des choses », manuscrit du début du XIIIe siècle rédigé par le moine franciscain Barthélemy l’Anglais, expose l’ordre naturel du monde. Il présente ici les quatre éléments d’Aristote tels des quartiers du globe terrestre, entourés par les douze éléments clés du ciel, les signes du zodiaque hérités des Babyloniens. En figurant la relation entre ces deux systèmes de symboles, cette représentation du monde résume l’une des questions centrales de toutes les astrologies, qui visent à rendre interprétables les ordres et rythmes de la nature, et particulièrement les liens entre caractéristiques et destinées terrestres d’une part, et figures et mouvements du ciel d’autre part.

 

11. IMAGINER POUR S'EVADER

« Trois nuits durant, j’ai veillé à peindre, en me couchant pendant la journée. Souvent il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour », écrit Vincent Van Gogh à son frère au moment où il peint « La nuit étoilée ». Le ciel constitue là encore un écran de projection pour nos rêves et un territoire d’exploration pour notre imagination. Écrivains, poètes, cinéastes, sculpteurs, peintres… se sont emparés de l’immensité céleste et l’ont interprétée. De Lucien de Samosate (IIe siècle) à Cyrano de Bergerac, de Jules Verne à Kubrick en passant par Wells, l’idée d’un ailleurs habité et d’un autre nous ressemblant n’a cessé d’alimenter l’imaginaire collectif. Il s’accompagne souvent d’un environnement scientifique totalement revisité. Le vaste Univers ouvre l’esprit humain à de nouvelles dimensions, où la téléportation et le voyage dans le temps deviennent possibles. Depuis 2 000 ans, la contemplation du cosmos semble bien nous permettre d’échapper aux vicissitudes terrestres.

La pensée scientifique est aussi un travail d’imagination, d’inspiration. Elle dépasse parfois la science-fiction et l’alimente. C’est dans la capacité de poser de nouvelles hypothèses et d’imaginer de nouvelles relations que naissent les révolutions scientifiques. Progressivement, les modèles et les théories vieillissent et sont contredits par l’affinement des observations. Apparaissent alors des modèles révolutionnaires qui remettent en cause l’ordre scientifique établi. L’histoire a donné raison à Copernic, Einstein, Lemaître lorsqu’ils ont osé sortir de la norme scientifique de leur époque. Quelle sera la prochaine crise ? Les concepts cosmologiques comme les branes, les hypercordes ou les trous de vers rejoignent la science-fiction et évoquent des univers permettant, comme dans « 2001, l’Odyssée de l’espace », le voyage dans le temps.

 

12. RATIONALISER POUR ECHAPPER A SES PEURS

En 960, Abd al Rahman al Sufi reprend le catalogue d’étoiles de Ptolémée et arpente le ciel muni d’un astrolabe pour produire la plus ancienne de nos cartes modernes des constellations, encore d’actualité. L’histoire de l’astronomie est une rationalisation progressive, décrivant mouvements et phénomènes, interprétant les événements mystérieux qui agitent le ciel. En élaborant les lois de la mécanique céleste, les astronomes se sont dotés de modèles de prévisions et ont mis au point des instruments pour maîtriser temps et espace terrestres : calendriers, sextants, et maintenant GPS… L’astrophysique moderne s’intéresse, elle, à la nature et à l’évolution des étoiles, nébuleuses et galaxies. Elle a élargi le champ d’investigations, nous permettant de maîtriser les rayonnements électromagnétiques et de nouvelles sources d’énergie. Ces travaux de rationalisation, quelle que soit l’époque, s’appuient sur les mêmes méthodes et assemblent observations, hypothèses, modèles et calculs pour fournir un ensemble cohérent de représentations de notre environnement et de son fonctionnement.

En pointant sa lunette vers le ciel, Galilée a ouvert la voie à une exploration sans cesse renouvelée par l’amélioration de nos instruments. Aujourd’hui, télescopes, satellites et réseaux d’antennes donnent à l’Univers une profondeur insoupçonnée au XIXe siècle. Son observation dans toutes les longueurs d’onde révèle des astres jusqu’alors inconnus et des interactions invisibles à nos seuls yeux. La lumière n’est plus la seule messagère. Rayons cosmiques, protons et autres grains de matière traversent le cosmos et viennent bombarder la Terre, nous offrant autant d’informations inédites sur l’Univers que de nouvelles énigmes.

 

13. ECRIRE LE RECIT DE L'UNIVERS

Il y a 13,8 milliards d’années, l’Univers était extrêmement homogène, dense et chaud. Depuis, il est en expansion et des structures cosmiques se sont progressivement formées. Cette vision d’un vaste Univers en évolution, aujourd’hui familière aux astronomes, ne date pourtant que du siècle dernier. Même si le philosophe Emmanuel Kant avait imaginé l’existence d’univers-îles dès 1755, il faudra attendre les années 1920 pour comprendre que certaines nébuleuses se révèlent être des galaxies : des ensembles d’étoiles semblables à notre Voie lactée, situés à des distances considérables de nous. De géocentrée, notre représentation est devenue « cosmocentrée » : l’Univers est le tout. Mais ici, il manque de la matière, là, une mystérieuse énergie noire est nécessaire pour rendre compte de l’Univers à toutes les échelles. En essayant de réconcilier relativité générale et mécanique quantique, certaines théories spéculent l’existence d’autres univers, une multitude d’autres mondes dont le nôtre ne serait qu’une infime composante. compte de l’Univers à toutes les échelles. En essayant de réconcilier relativité générale et mécanique quantique, certaines théories spéculent l’existence d’autres univers, une multitude d’autres mondes dont le nôtre ne serait qu’une infime composante.

Si l’on considère uniquement la masse de leur matière lumineuse, la rotation des galaxies sur elles-mêmes semble bafouer les lois de la gravitation. Les astrophysiciens en ont conclu qu’elles contiennent une part importante de matière invisible à nos instruments, appelée faute de mieux « matière noire ». Ils supputent qu’elle forme les grumeaux qui déclenchent la formation des galaxies et des grandes structures du cosmos, entrant pour 25 % dans la masse de l’Univers. Cette matière mystérieuse n’est pas composée de matière ordinaire avec son cortège de protons ou neutrons, mais d’éléments encore inconnus. La quête aux nouvelles particules se poursuit sur Terre pour étayer ce modèle qu’à défaut, il faudra repenser entièrement.

 

14. TRANSMUTER LA MATIERE

Selon les Tukanos d’Amazonie, le Soleil créa l’Univers et lui donna la vie. Pour que la vie puisse émerger, il fallait que le carbone, l’oxygène, l’azote entre autres existent. Or, l’Univers primordial n’a pu les créer. En 1948, l’astronome Fred Hoyle émet l’hypothèse que les éléments chimiques se forment dans les étoiles. Sous l’effet de la gravité, la matière se concentre et la température s’élève au coeur des étoiles. À 10 millions de degrés, les atomes d’hydrogène fusionnent, libérant une énergie suffisante pour contrebalancer les effets de la gravité. L’hélium ainsi créé fusionne à son tour dès lors que les atomes d’hydrogène viennent à manquer et que l’étoile se contracte à nouveau. Ce processus de nucléosynthèse stellaire se poursuit, produisant carbone, magnésium, oxygène et des atomes de plus en plus lourds et complexes jusqu’au fer. Puis, si sa masse est trop importante, l’étoile s’effondre sur elle-même, générant une onde de choc qui permet de synthétiser des atomes plus lourds que le fer. Elle explose et devient une supernova disséminant dans l’Univers tous les éléments indispensables à la formation des planètes. Nous sommes des poussières d’étoiles.

Le Soleil a, dans toutes les cultures, été honoré et a occupé une place prépondérante dans les grandes civilisations. Incas, Aztèques, Égyptiens lui ont voué de véritables cultes, comme en Asie ou en Europe. Les fils du Soleil, qu’ils soient roi, empereur ou pharaon, puisaient en lui le symbole de leur toute-puissance. Source de toute vie, Râ était immortel, immuable, régnant sur le cosmos. L’astronomie moderne en a fait par la suite une étoile banale, une boule de gaz qui s’effondrera définitivement sur elle-même dans 4,5 milliards d’années… En expulsant son enveloppe, elle vaporisera alors les planètes du Système solaire, et la Terre avec elles.

 

15. DEMONTRER NOTRE EXCEPTION

« Il est donc d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l’instar des sept « terres » que nous voyons tourner autour du Soleil qui nous est proche. » Il faudra plus de quatre siècles pour apporter une première preuve scientifique à cette conviction de Giordano Bruno*. La découverte de la planète extrasolaire 51 Pegasi b, en 1995, a ouvert la voie à la pluralité des mondes. Depuis, des centaines d’exoplanètes ont été trouvées, et des milliers d’autres sont en cours de caractérisation. Leur nombre ne semble limité que par nos capacités à les détecter. Le paradigme d’un système solaire qui reposait sur le seul modèle accessible à nos instruments, le nôtre, vacille. La diversité est légion : des planètes géantes gravitent en quelques jours autour de leur étoile, des systèmes planétaires existent autour de naines rouges, des planètes ont une orbite oblique… La zone habitable — région autour d’une étoile dans laquelle il serait possible que la vie se développe du fait de la présence d’eau à l’état liquide — se redéfinit. La quête n’est plus seulement de chercher d’autres terres, mais également de découvrir dans leur atmosphère les signes qu’une forme de vie s’y est développée. Mais ces indices sont, eux aussi, déduits des seuls modèles terrestres.

*L’Infini, l’Univers et les mondes, 1584.

 

16. UNE EXPLORATION PAR PROCURATION

Le 21 juillet 1969, l’humanité fait ses premiers pas hors de son berceau terrestre par l’intermédiaire de l’équipage d’Apollo 11. Trois ans plus tard, Apollo 17 quitte la Lune pratiquement dans l’indifférence générale. Les missions Mars Pathfinder ou Curiosity, après Pionner, Magellan et Voyager, ont sillonné le Système solaire, rapportant des images de nouvelles terres inconnues. Les sondes spatiales et l’informatique ont ainsi changé notre façon d’explorer l’Univers. On ne dissèque plus le ciel que chacun peut contempler, on utilise des machines de calculs et des robots qui se substituent à nos sens. La découverte de nouveaux mondes devient virtuelle. Le déferlement des images a tendance à banaliser des territoires qui fertilisaient auparavant notre imagination, notre soif de connaissances, notre curiosité. Alors que nous repoussons sans cesse les frontières de notre horizon, paradoxalement l’individu perd sa place dans cette quête de l’ailleurs.

Faut-il investir dans le retour sur la Lune, la colonisation de Mars, la recherche de la vie ailleurs ? Nous autres Terriens, irons-nous dans l’espace en conquérants à la recherche de nouveaux gisements à exploiter, ou en observateurs méticuleux d’un Univers dont nous ne sommes qu’une infime composante ? Tout comme notre manière de décrire le ciel, notre façon d’explorer le cosmos est un miroir de notre culture. Plus encore qu’au temps de Christophe Colomb, les décideurs doivent jongler avec impératifs économiques à court terme, responsabilité vis-à-vis de l’avenir et… envie d’étendre leurs territoires.

 

17. UN MONDE SANS ETOILE

Noyé sous des mégawatts de lumières artificielles, le ciel étoilé s’efface peu à peu et disparaît de nos villes, de nos provinces habitées. Il n’appartiendra bientôt plus qu’aux seuls astronomes de contempler la nuit étoilée de quelques maigres réserves exemptes de pollution et de lumière. Nous préparons un avenir autiste à nos enfants, enfermés dans leur voisinage immédiat. Si le ciel lui-même disparaît de notre univers, s’il ne peut plus être l’écran de projection de nos rêves, de nos croyances, de notre humanité, s’il ne peut plus fertiliser notre imagination, pourrons- nous éviter de nous croire à nouveau au centre du monde ? Laisser s’effacer le ciel, n’est-ce pas s’aveugler culturellement ? Le seul souvenir d’une nuit étoilée, comme celui d’un arbre, pourrait-il suffire à nous rappeler nos racines ?

En 1574, à la fin de la Renaissance italienne, lorsque Giovanni Antiono da Varese, Raffaellino de Reggio et Giovanni de Vecchi peignent ce plafond du palais Farnèse, à Caprarola, les astres resplendissent sans partage chaque nuit claire. Ces artistes ne faisaient qu’illustrer le spectacle de la nature, alors incontournable et omniprésent lorsqu’on levait les yeux. Aujourd’hui paradoxalement, alors que l’exploration de l’Univers et son lot de découvertes sont de plus en plus à la portée de tous, nos cieux ne seront bientôt plus qu’artificiels et cathodiques, un mythe, un souvenir.

 

Une exposition produite par l’Association Française d’Astronomie avec le soutien du Ministère de la Culture et la Communication.

Textes et scénario : Eric Piednoël et Olivier Las Vergnas.

Mise en scène et conception graphique : Emmanuel Delort.

Recherches iconographiques : Franck Seguin et Eric Piednoël.

Conception du site internet : Cyril Amergé.

Centre de ressources en ligne : Michaël Leblanc.

@ AFA, 2013